Jean-Jacques Blévis
Un air d’existence

 

 

 

UN AIR D’EXISTENCE

                                                     « Les vagues lançaient au-devant d’elles, en se    soulevant sur la grève brunâtre, gris foncé, une ombre noire qu’elles ensevelissaient soudain comme une mâchoire supérieure, préanimale, avant de se retirer et de projeter à nouveau cette ombre sous elles, cette ombre qui commençait à être une obscurité d’une autre naissance que la nuit, cette ombre qui les devançait.
Je sentais qu’une ombre maintenant me devançait dans ma vie. »

                                                           P.Quignard

 

Depuis le début de son travail de psychanalyste, Michèle Montrelay aura eu une intuition forte qui ne s’est jamais démentie, et qui semble lui tenir d’appui dans toutes les avancées qui sont les siennes. Ses recherches sur la féminité l’ont très vite conduit à constater que le rôle de la sublimation dans les cures était le plus souvent sous-estimé. La psychanalyse vise d’abord à déplacer le refoulement, à le transformer et le mobiliser, à le lever ou au contraire le ré-instaurer, et faire place à nouveau à la sublimation. Comptant avec le réel de la différence sexuelle, la sublimation ouvre à un « autre amour »[1] et donc à un autre désir, par la force du “trait” en mouvement. Un désir loin de se limiter à la seule détermination phallique.

Freud dit que l’analyse agit par l’amour. À ceci près que l’amour de transfert ne se manifeste dans les cures que porteur d’une ambiguïté fondamentale : tout à la fois moteur et résistance dans l’analyse. Je proposais naguère d’en déployer la signification en différenciant de cet amour, intimement lié à la névrose de transfert, ce que je préférais nommer l’amour du transfert, pour désigner ce qui, de l’amour, vient certes du transfert mais en est aussi la condition de possibilité, son fond(s) de langue en quelque sorte. Ce que Artaud nommait le subjectile.

M.Montrelay aussi soutient que l’amour seul permet d’agir en analyse. Bien entendu, pour elle aussi, il ne s’agit pas de n’importe quel amour, mais d’un amour différent de l’amour passion. Du fait de l’incarnation du lieu de l’Autre dans le transfert, l’amour dont elle parle est celui de l’action du trait, de l’énergie qui le porte vers l’Autre, vers autrui plutôt que sur lui-même. Il rejoint à ce titre son intuition fondamentale d’une sublimation qui doit beaucoup à ce que, dès 1967, elle rapportait à une autre jouissance, à une jouissance spécifiquement féminine.



[1]. On trouverait un écho à la question que soulèvent la nature et la fonction d’un tel « amour » dans cette formulation de Lacan, aussi condensée qu’en partie énigmatique : « Seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir ». « Livre X – L’angoisse », Le séminaire, 2004, Paris, Le Seuil, p.209.

 

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