Michel HESSEL
Sauvons la clinique

Le 30 juin 2007.

 

Sauvons la clinique
Michel HESSEL 30 juin 2007

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Intervention au nom du Cercle Freudien dans le cadre du Séminaire  Inter-Universitaire Européen d’Enseignement et de Recherche en Psychopathologie et Psychanalyse.  SIUEERPP. Réunion à l’amphithéâtre Charcot, à partir  de l’initiative du Manifeste (5900 signatures) et dans la perspective des Etats Généraux de la Clinique prévus pour janvier 2008.

Chers collègues et camarades,
Mesdames et messieurs les Professeurs et Etudiants des Universités,

Je remercie les organisateurs de cette rencontre ainsi que le Cercle Freudien qui m’a mandaté pour vous parler aujourd’hui.
Le Cercle Freudien est une association de psychanalyse. Ses membres et ses instances ont à relever trois types de défi. L’héritage freudien y compris son extension lacanienne dans le rapport instable entre les textes et l’actuel qui s’y noue. Une pratique qui y tienne, et si possible qui tienne, à travers les cures autant que dans les institutions qui nous prêtent asile. Il nous faut enfin maintenir des lieux praticables pour vivre ensemble la transmission et le partage de l’expérience psychanalytique avec les dialectes requis par chacun pour subjectiver la doctrine.

Ceci m’amène d’emblée à une série de questions.
Quelle clinique s’agit-il pour nous de sauver ? Quelles sont ses conditions de réinvention, d’effectuation et de transmissibilités ? L’épistémologie psychanalytique, dans sa subversion des rapports entre les savoirs et leurs indices de vérité n’entraîne-t-elle pas déjà une autre articulation entre ces temps de l’expérience ? Ainsi la trace qui se transmet après-coup d’une effectuation ne donne-t-elle pas lecture d’une réinvention qui a pu échapper à toute contribution de l’attention consciente ? En tenant compte de cette dimension temporelle compliquée de l’acte, comment inscrire la spécificité analytique dans le tripode canonique qui distingue la clinique de la recherche et de la formation ? En allant plus loin peut-on encore soutenir, dans le rapport de forces existant, que c’est la subversion freudo-lacanienne de l’épistémologie qui pourrait apporter une contribution féconde à la transdisciplinarité ? Ajoutons que vis à vis de l’évaluation des pratiques, nous ne pouvons soutenir qu’une attitude d’engagement critique qui ne laisse pas aux logiques comptables extérieures à notre champ le monopole de ce souci.

Venons-en maintenant aux menaces qui pèsent sur nos pratiques . Une première question est peut-être celle de la diffusion du message freudien dans la culture. Il y a là une tâche impossible et necessaire, une action subtile d’enseignement pour laquelle l’Université n’est pas remplaçable.

Nous ne savons que trop combien la seule transmission d’analysants à analysants reconduit les phénomènes de dégradation séctaire. L’hystérie comme cause commune vire volontiers à la fosse commune, depuis les convulsionnaires de St Médard en passant par les sacrifiés du Chemin des Dames. L’histoire des idées, la fixation des étapes de l’expérience et des tournants éthiques et techniques des fondateurs ne suffisent pas à guérir les réminiscences mais elles leur offrent un chemin d’éconduction par la perlaboration.

Nous ne pouvons que souscrire à la défense de l’indépendance laïque d’un enseignement lorsqu’il s’agit de la psychopathologie et de l’anthropologie historique et critique de l’évolution des concepts et des nosographies. Cette indépendance assure une inscription évolutive des façons de penser la folie humaine contre la tendance à la révélation ex nihilo de certains lobbies de thérapeutes. Ces groupes de guérisseurs impatients ne peuvent qu’en pincer pour une adéquation révélée et atemporelle entre le mal, les mots et les choses.
Mais, attention !!! Balayons d’abord devant notre porte . Le penchant atemporel guérisseur n’épargne pas les psychanalystes. Qu’on songe à l’hyper-structuralisme de certains post-lacaniens ou à la dérive psycho-juridique des apôtres du symbolique en danger. Face à la religiosité, associations et départements de psychologie clinique ont peut-être une vigilance commune à apprendre à partager davantage.
La laïcité est en péril. La déplorable affaire d’Amnesty International nous le rappelle. Dans notre champ d’action, celui du soin, il en va de même. Nous avons déjà observé une pharmacologie scientifique ravalée au rang de marketing de labos . Verrons-nous les cliniciens de demain oublieux des gestes, ces gestes qui furent les précurseurs de notre discours sans parole ?…….Pinel, Charcot, Freud, Winicott, Tosquelles, Oury ….et j’en oublie.
Une clinique qui met la procédure aux commandes désavoue l’acte et le geste et nous laisse un sujet sans voix.
« La chance sourit aux esprits avertis » Louis Pasteur
Nous sommes déjà avertis que les passions indistinctes font la masse qui ignore le temps. Mais la dénonciation des groupes de pression ne nous dispense pas de tâcher de distinguer ce qui relève :
–    des pouvoirs publics
–    des effets de discours dans la société civile
–    de l’auto-censure des praticiens eux-mêmes

La cure didactique, la subjectivation de la doctrine et l’éveil à l’actuel restent le parcours obligé pour la formation des psychanalystes. Mais nous avons besoin d’espaces de laïcité dans le champs politique et social pour que Freud ne termine pas au musée. Comment maintenir ouvert notre dialogue avec l’ « interlocuteur impartial » ? Comment résister aux délices du splendide isolement ?

Sauver la clinique, ça parle aux analystes. C’est chaque jour qu’elle se sauve, la clinique, elle se perd et se laisse perdre pour mieux  bousculer nos repères. Entre sa majesté le symptôme avec ses soifs post-modernes de tribalisme identitaire et son excellence le moi fort, gagnant-gagnant, la clinique se sauve  comme le lait bouillant hors la casserole.
« La théorie c’est bon mais ça n’empêche pas d’exister » aimait à répéter Jean Martin Charcot. Freud y ajoute un quart de tour en mettant à jour qu’une théorie n’a nul besoin d’être consciente pour opérer. La clinique se perd quand la tendance à l’unification, à la vision du monde, rend inaudible ce qui cloche à côté. Quand les représentations d’attentes impérieuses scotomisent les choses inédites : vérités de fortune, savoirs à la gomme , voix rapportées et larmes venues des lointains.
« Supporter la vie reste bel et bien le premier devoir de tous les vivants. L’illusion perd toute valeur lorsqu’elle nous en empêche »
S.Freud  Actuelles sur la guerre et la mort.  OCF XIII p 155
Nous voulons défendre une clinique qui supporte la vie, mais peut-être pas n’importe laquelle. Une vie lucide qui ne se laisse aveugler ni sur les conflits qui l’animent, ni sur l’insu de ce qui l’originera demain, ni sur le terminus qui l’attend.

Je vous remercie de votre attention