Danièle Epstein – Les enfants naufragés du néo-libéralisme

 

Les naufragés du néolibéralisme

 

Chaos du monde et radicalisation de la violence sont les deux versants d’une crise systémique qui s’emballe en roue libre. Faillite du système et faillite du Sujet, détricotage social et démaillage psychique sont les rejetons d’une même mécanique qui broie tout sur son passage, et finit par se broyer elle-même en se cognant au mur du Réel. Cet essai est une traversée de l’air du temps, un regard sur la logique néo-libérale et les mutations qu’elle engendre. En-deçà de ses mirages, la face cachée du néolibéralisme est celle de ses ravages. Puiser et épuiser les ressources humaines et planétaires, dépecer le monde en fonction de sa seule rentabilité, tel est l’enjeu majeur d’une économie de marché, qui n’a que faire d’une économie du vivant.

Nous déplierons ici la part de l’ombre qui provient de notre temps, pour en décliner ses effets délétères plus particulièrement sur nos jeunes les plus vulnérables, ceux que l’on dit « ensauvagés », à l’image de l’ensauvagement du monde. Naufragés psychiques de la déliaison sociale, ils nous renvoient en actes les butées du monde dans lequel ils sont nés. Livrés à leur fureur de vivre, les enfants du néo-libéralisme dérivent sans amarres au fil chaotique de leurs pulsions, pour s’étourdir dans la jouissance de l’instant, de violences en addictions, d’agressions en régressions, de fuite en avant maniaque en plongée mélancolique.  Dans les coulisses de la croissance,  soumis à la religion du marché, ils consomment jusqu’à se consumer  pour combler leur vide existentiel, et se vident de leur trop-plein pulsionnel. Hyperconnectés mais déconnectés de leur histoire comme de l’écosystème dont nous sommes un maillon, ils gravitent sans arrimage en électrons libres et s’engouffrent dans le cycle nihiliste du « no future, no limits » .

Sous l’impact de la pandémie, la mise en pause de la machine permettra-t-elle sa remise en cause? Arrêter la machine qui fait de l’homme le serviteur de l’économie, pour mettre l’économie au service des hommes, rebattre les cartes  pour tisser le devenir des générations futures, relève d’un renversement idéologique, civilisationnel qui passe par une mutation subjective. En cette charnière anthropologique, se joue un entre-deux qui nous oblige à penser les contradictions de notre civilisation pour en relever les défis.