Patrick Hochart – Un lieu pour la pauvreté. À propos du livre de Pascale Hassoun « Un dragon sur le divan »

Un dragon sur le divan
Un lieu pour la pauvreté (p.149)

Patrick Hochart

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Pascale Hassoun n’est pas précisément allée en Chine pour mieux lire Freud ou Lacan, à l’instar de F. Jullien qui assure être passé par la Chine pour mieux lire les Grecs, d’une manière plus dégagée, mais elle est partie, nous dit-elle cum grano salis, en « missionnaire »[1], pour œuvrer à la transmission de la psychanalyse, à l’implantation de « cette science viennoise du XIX° siècle » (p.13) dans la Chine du XXI°, « cette Chine qui va de l’avant » (id. ; cf. p.85-86), c’est-à-dire dans une « société, où la logique capitaliste met à mal les valeurs confucéennes, plus encore que le communisme ne l’avait fait » (p.16-17)[2] . Conformément à la voie frayée par Freud qui, depuis L’interprétation du rêve et La psychopathologie de la vie quotidienne, se flatte d’avoir ouvert la psychanalyse « sur le grand large »[3] et consacré sa vocation au lointain, par delà l’Inde où flotta tôt la bannière freudienne[4], au-delà même de l’aire indoeuropéenne, la « peste » analytique aborde enfin avec la Chine, les rivages de l’Extrême-Orient[5]. Sans doute Pascale s’est-elle bien lancée dans cette aventure « à tâtons avec pour seul appui (son) unique expérience et (ses) propres options » (p.17), ainsi que sa passion pour la psychanalyse[6]qui est aussi un art de se lancer (p.145-46), une création ou « une nouvelle manière de regarder » davantage qu’une technique (p.275), mais ce saut dans l’inconnu et dans l’hétérogène, voire l’hétérotope de la langue et de la culture[7], se trouve favorisé ou plutôt étayé (angelehnt) par la médiation (p.12) heureuse[8], sous le signe du passage d’Enfer (p.46-47), d’un passeur, celle de Huo Datong, qui, « au départ »[9], tel un premier de cordée[10], lui ménage une certaine assurance et le « cadre » (p.12) d’une intervention possible.

[1] Pascale Hassoun, Un dragon sur le divan. Chronique d’une psychanalyste en Chine, érès, 2017 (nous nous rapporterons désormais à cet ouvrage par la seule mention de la page), p.11 : « Mes bibles freudienne et lacanienne à la main, je suis partie en 2003 évangéliser la Chine avec un enthousiasme certain » ; cf. p.18 : «…une autre consultante me fit remarquer que la psychanalyse était pour moi comme une religion….] Je m’interroge. Serais-je dans une attitude de missionnaire ? Mes livres de psychanalyse seraient-ils ma bible ? » ; cf. encore p.236 : « Là-bas je suis en terre étrangère, en “mission”… ».
[2] Cf. p.13 : « Il semble qu’après le dépassement de la Révolution culturelle, la déruralisation des campagnes, l’apparition de nouvelles classes urbaines, le développement économique, on assiste à une montée de l’individualisme, voire de l’isolement, lié à la consommation. Dans cette perspective, la psychanalyse, ou quelque chose qui s’en rapproche (c’est tout le problème), devient un objet désirable : à la fois ouverture sur l’étranger et recherche d’approfondissement de l’identité » ; cf. p.83 : « Cependant, à côté de l’homme de la piété filiale, la psychanalyse introduit un nouvel homme : l’individu. Répond-elle à un besoin ou le crée-t- elle ? ».
[3] Freud, Selbstdarstellung/Sigmund Freud présenté par lui-même, Paris, 2003, p.158 : « Mais le rêve auquel elle [la psychanalyse] s’attaqua ensuite n’était pas un symptôme morbide, il était un phénomène de la vie psychique normale et pouvait se produire chez tout homme en bonne santé. Si le rêve est bâti comme un symptôme […] alors la psychanalyse n’est plus une science auxiliaire (Hilfswissenschaft) de la psychopathologie, alors elle est bien plutôt l’amorce d’une connaissance de l’âme (Seelenkunde) nouvelle et plus foncière, qui est aussi indispensable pour la compréhension du normal. On est autorisé à transférer ses présupposés et ses résultats à ce qui se passe dans d’autres domaines de la vie de l’âme et de l’esprit ; la route vers le grand large (ins Weite), jusqu’à l’intérêt mondial (zum Weltinteresse), lui est ouverte ».
[4] Sur l’histoire du mouvement psychanalytique, Paris, 1991, p.55-56 et 62 n.1, ajout de 1923.
[5] Encore que, dès 1935, Freud pointe l’existence de deux groupes de l’ « Association psychanalytique internationale » au Japon (Postscriptum à la Selbstdarstellung, op. cit. p.260).
[6] « …même si je lui réponds qu’il ne s’agit pas de religion mais de passion. Car je nourris à l’égard de la psychanalyse une certaine passion, ce qui n’empêche pas un regard critique » (p.18)
[7] « Si les références sont à ce point hétérogènes, par quelles portes d’entrée la psychanalyse peut-elle néanmoins être introduite ? » (p.14) ; « Cependant, nous ne partons pas des mêmes bases et ne pouvons pas introduire la moindre comparaison » (p.65).
[8] « J’ai eu de la chance. Celle de rencontrer Huo Datong […] J’ai eu la chance d’être reconnue par lui… » (p.12).
[9] « …notre relation amicale au départ… » (p.59).
[10] « Huo Datong, à l’interface, est un passeur. Il fait communiquer deux mondes qui ne manquent pas d’antagonismes. Il assure un truchement. Moi qui viens d’un autre univers, je m’assure auprès de lui comme un alpiniste s’assure au précédent » (p.61 ; cf. p.185).

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